Berlin 2018 jour 2

Les championnats internationaux c’est comme une cure de jouvence. On sort du stade avec un sourire béat, les yeux pleins d’étoiles et la tête pleine d’images. Le feu d’artifice final allemand devrait être remboursé par la sécurité sociale pour le bien-être qu’il procure. Reprenons chronologiquement.

La matinée commence en douceur avec la suite du décathlon et les séries de plusieurs courses. Je suis posé près de la ligne d’arrivée (ce qui n’est évidemment pas ma place mais le nœud du contrôle est coulant). Le 400m à 11h30 est aussi dur à digérer que le fut le 800m hier. Il fait chaud, l’acide lactique monte dans les oreilles et les arrivées en Tom Sawyer sont légion : finir les bras très hauts, la tête enfoncée dans les épaules et le nez élégamment tourné vers le ciel quand les yeux regardent la piste. (NDLR : Tom Sawyer est le terme usité chez les stadistes BrestoÂs mais il s’agit en fait d’Huckleberry Finn).

Ce n’est pas la Tchèque Alena Symerska qui dira le contraire, elle qui mettra plus de 15 minutes avant de répondre à la journaliste de son pays. Ricoré n’est pas toujours l’ami du petit déjeuner.

Viennent les séries du 1500 hommes. Quelle déception française : 3 bleus 3 éliminations. On en vient à regretter l’ex joueur de foot stagiaire du Havre AC, Fouad Chouki 3’30’’83 en prenant certes des treets et des smarties. Par contre, un carton d’invitation est envoyé par la famille Ingebrigtsen pour la finale. L’ainé Henrik, champion d’Europe en 2012, Filip, champion d’Europe 2016 et le surdoué Jakob, pas encore 18 ans, double médaillé aux mondiaux juniors, 3’31’’18 au compteur, peuvent rêver d’un triplé. Il existe en Scandinavie, une Norvégienne, vraie mère poule aux œufs d’or, qui a dû concocter de prodigieuses omelettes pour élever ses 3 champions.

Il est midi. Je change de place pour suivre la perche du décathlon. Dans les travées du stade, Stéphane Diagana me salue chaleureusement avec un grand sourire. On est toujours content quand les anciens vous reconnaissent. En face, des sautoirs, c’est l’heure du farniente. Le 8ème épisode du décathlon est toujours un moment de calme et de volupté, cher à Guy Lux. On étend sa serviette, on se passe de la crème à bronzer, on agite les éventails en buvant des bières et on s’assoupit parfois. Pour le spectateur, cette épreuve n’a rien à envier à un moment balnéaire. Suivre un décathlon, c’est bon sur le fond et la forme.

A l’opposé du stade, les qualifications du javelot s’effectuent tranquillement pour les Allemands. Le couronné olympique Thomas Röhler, comme sur des roulettes, et le champion du Monde Johannes Vetter, vont en finale sur un seul jet.

C’est plus douloureux pour le vice champion du Monde Jakub Vadlejch. Le Tchèque devra remettre le nez dans ses carnets d’entrainement.

14h et énième « Bratwürst ». A ce propos, le génie conceptuel allemand est, pour moi, mis à mal. Pourquoi mettre de si longues saucisses dans de si petits pains? Il y a là un côté phallique inexplicable.

La session du soir débute avec la deuxième fratrie de la journée sur 400m. Les frères Borlée ne parviennent pas à imiter leurs homologues norvégiens. Seuls les jumeaux Kevin et Jonathan passent en finale, Dylan frappant seulement à la porte du paradis, sans flingues ni roses.

Le tenant du titre du tour de piste Martyn Rooney sort également sans éclat. C’était plutôt Martyn à la plage ou Martyn en voyage.

L’autre génie norvégien, champion du Monde du 400 haies, Karsten Warholm double sur 400m. On a peut-être là la future grande star de l’athlé, drôle et facétieuse.

A signaler, un fait plus marquant cette année: les athlètes me paraissent mettre beaucoup plus de temps à récupérer, ce qui est plutôt bon signe.

Sur 400m haies, malgré son élimination, la double championne du Monde Zuzana Hejnova n’est pas ingrate avec moi, comme Léa Sprunger, impressionnante en demie. C’est peut-être l’heure de la Suisse, remontée comme un coucou.

Sur 800m a lieu la seule vraie éclaircie bleue de la journée avec Rénelle Lamote.

Je m’autorise un aparté. J’ai reçu des défis à relever.

  1. Passer à la télé. Pour ce faire, il faut 2 ingrédients. Des athlètes Français et des cérémonies protocolaires. Pour les performances cocorico, c’est plutôt kirikiki et pour les podiums, ils ont bizarrement été ubérisés au centre ville. Pas de Marseillaise d’Amdouni  donc et pas d’occasion de sortir le drapeau qui attire l’œil des caméras.
  2. Un autre challenge proposé est une interview par « mon ami » Montel. J’avais quasiment relevé le gant en 2007 à Osaka. Ca sera difficile de « faire mieux », même si ce n’est pas une fin en soir. Souvenir:

A propos de France télévision, une jeune fille avec l’enseigne médiatique floqué sur le polo, m’aborde : « Tu es Laurent Arzur ? » Ca surprend toujours. Une ex-stadiste brestoise, Mathilde L’Azou, nièce de mon vénéré ex-entraineur André Penarguear, travaille pour la chaine nationale. Elle couvre tout ce qui a trait à internet sur de nombreux événements sportifs. Elle vient par exemple de terminer de suivre le Tour de France. Bref, elle fait un métier que j’aurais aimé exercer. En parlant d’emploi, j’ai croisé le super DRH de l’athlétisme mondial. Le Président de l’IAAF, Sebastian Coe, accepte de poser à mes côtés avec un grand sourire.

C’est peut-être parce que je l’ai abordé en usant du « Sir Coe ». Ce monsieur a osé affronter Poutine en excluant ses athlètes depuis maintenant 3 ans. Les mauvaises langues diront que c’est pour favoriser les Britanniques et les Américains. Et donc, seuls quelques Russes ont le droit de concourir comme la reine de la hauteur, la double championne du Monde Maria Lasitskene née KUCHINA.

Je croise également une autre reine, la championne olympique et triple couronnée mondiale de l’heptathlon Carolina Klüft.

Moins gracieux et plus impressionnants, les médaillés d’or et d’argent du concours du marteau d’hier soir, les Polonais Wojniech Nowicki et Pawel Fajdek passent dire bonjour, une bière à la main. Sans entretenir un cliché, je doute que ce soit la première… ni la dernière.

Sur 200m, le champion du Monde en titre Ramil Guliyev se balade. Le Turc a une bonne tête de futur vainqueur. Il m’autorise à voir ses tatouages de près.

Un détail: les sessions du soir se déroulent toutes dans une ambiance de concert. Les speakers et le DJ font très bien leur boulot et la playlist est entrainante voire motivante. De bons vieux tubes avec du bon gros son. Au risque parfois de tomber dans le cliché. Le Grec Miltiadis Tentoglou a, par exemple, le droit à son sirtaki pour son dernier essai quand les lanceurs allemands ont AC/DC. Mais pour eux, point besoin de musique. Le public est en feu, debout, et espère le sacre pour la championne du Monde du poids 2015, Christina Schwanitz, qui finit seulement 2ème,

et surtout pour le héros du soir, champion olympique 2012 et triple champion du Monde du disque Robert Harting. Il termine à une modeste 6ème mais l’essentiel est ailleurs. La cérémonie émouvante clôturant sa carrière éclipse totalement le tour d’honneur des 3 médaillés. C’est lui qui arracha son maillot dans une atmosphère de folie après sa victoire ici en 2009. Une anecdote à son propos. Je suis assis dans un bar en 2011 avec Charles Delys aux mondiaux de Daegu, avec à la table à côté, les lanceurs allemands qui profitent de la soirée à grandes lampées de cervoise. L’heure est déjà tardive et les 2 serveurs sud-coréens ont donc logiquement décidé de fermer. Mais Robert a soif. Imaginez-le donc (je pense 1,90m pour 120kgs au bas mot minimum) face à 2 gaziers au physique de Sim asiatique. Et bien, le bar a ré-ouvert…

La soirée se conclut enfin avec, en apothéose la victoire allemande au décathlon sur l’air de « Heroes » de David Bowie. C’est le sacre d’Abele. I can fly. Abele. I can touch the sky. Et danke Robert.

A suivre.